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Petites immensités


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À toi, pour tes 4 ans.

Je t’écris une lettre, qui s’ajoutera peut-être à toutes celles que je t’aurai écrites.


À toi, qui m’as appris à ne pas avoir peur des orages.

Toi qui en sais beaucoup plus que moi sur la biologie marine et les animaux préhistoriques.

Qui collectionnes les branches, les cailloux, les glaçons.

Qui es fasciné par les petites choses et qui découpes tout en morceaux. Comme pour faire entrer l’univers dans ta poche.


À toi qui m’écris des volcans,

qui inventes des nouveaux pays où on ira ensemble, comme le Swangalika, où, tu me dis, on fait de la couture, et où il y a d’autres mamans comme moi qui sont fatiguées.


Depuis que tu es arrivé, il y a quatre ans, tout s’est écroulé dans ma vie. Jusqu’au plancher sous mes pieds et au toit sur ma tête. Littéralement.

On a refait le toit. J’ai reconstruit un village autour de nous. Je me reconstruis aussi, après être morte en te donnant naissance. Ça prend du temps, je sais. Pardonne-moi, d’être encore en chantier.


Je ne sais pas ce que c’est, d’avoir 4 ans et que tout s’écroule autour. La famille, les liens sociaux, la société toute entière, les câlins avec les amis et les grands-parents. Je ne sais pas ce que c’est que de faire sa valise sans que ce soit pour partir en voyage.


J'aimerais fermer les rideaux, le temps que la tempête passe.

Pour le moment, j’aimerais que tu puisses avoir 4 ans, un gâteau avec des dinosaures et des bonbons, une figure de plésiosaure qui manque à ta collection. Que tu ne ressentes pas la peur et la violence de la bourrasque dehors. J’aimerais semer en toi une profonde confiance que tout va bien aller. Une maison dans ton ventre, qui soit ton refuge en tout temps. Avec une odeur de sapin diffusée, pour qu'elle sente l'aurore boréale. Dans laquelle on peut se retrouver, tous les deux, même éloignés l'un de l'autre.


J'aimerais que tu aies des souvenirs d'enfance magnifiques.

Qu'on puisse faire le tour du monde.

Que tu ne t'éteignes pas devant la télé.

Que tu puisses rester fidèle à toi-même.


J’essaie d’être forte, de ne pas tomber, dans la tempête. J'essaie d'être un phare, mais souvent c'est toi qui es cette lumière résistante, qui disperse la nuit et la brume.

Tu es mon illumination matinale, ma dose de beauté et d’émerveillement quotidiens.

N'inquiète pas maman, n'inquiète pas, que tu me murmures en empruntant mes mots.


J’essaie d’être forte et finalement, j’y arrive surtout quand je tombe.

Souvent c’est quand j’essaie d’être un parent inébranlable que je me trompe.

Ça me demande beaucoup d’humilité de reconnaitre - de réapprendre à partir de rien, je dirais - que mon principal rôle comme mère est de t'accompagner et de t’attendre. Tu me demandes juste d’être là, de t'écouter et de t’attendre. De te faire confiance. Attendre que tu trouves les mots, que tu fasses tes erreurs par toi-même, que tu essaies de voir si ton idée fonctionne, que tu te pratiques à t’habiller, de t’attendre quand tu recommences. D’attendre que tu t’endormes. Il me semble que ça fait 4 ans, que j’attends que tu t’endormes.


Alors que je me dépêche de vieillir et que je me dépêche d’être une mère, tu agrippes mon chandail et tu me tires par en arrière. Tu me supplies de redevenir enfant. De venir jouer avec toi. La plupart du temps, je me rends compte que c’est toi qui as raison. Tu es le plus sage d'entre nous deux.


Quand je délaisse mon enfant intérieur et que je deviens trop sérieuse, c’est là que tu fais tes crises. Vous êtes solidaires et vous me rappelez au désordre, tous les deux.

Tu es déjà immense, déjà plus grand que moi, du haut de tes 4 ans. Du haut de tes 3000 ans. Je te suis, dans notre équipe de superhéros et ta tribu d'amis imaginaires, à travers ces mondes où tu nous emmènes, que tu façonnes, à coup de forêts de sapins d'eau douce et de volcans endormis. Je t'écoute me raconter le Mont Odigan, avec ses vingt-quarante lunes, et pour un moment je n'ai ni besoin ni hâte de rien parce que tout est déjà parfait, dans la seconde immortelle qui nous appartient.


J’entends la mer battre dans ton coeur, tu me dis, la tête couchée sur mon ventre.

Et je comprends qu'on nait avec la poésie en nous. Une poésie originelle.

Et avec une bienveillance aussi, dans ce regard neuf qui commence par ne voir que le beau en tout.


Tu es arrivé avec des étoiles dans les yeux. Je me suis promise de tout faire pour que jamais elles ne s’éteignent. Je me battrai pour ces étoiles. Je serai une guerrière intergalactique. Une mère lune ou une mère tonnerre.


Dans ma lettre je t'écrirai des rivières, des stalagmites et des pyramides.

Malgré la tempête dehors, tu as toujours une maison dans ton ventre. Souviens-toi.

Bientôt, je te raconterai que ce n'est pas une maison mais un temple. Bientôt, je te parlerai de l'importance de l'habiter pleinement, pour ne pas que d'autres le fassent à ta place. Je te raconterai comment être plus fort que les monstres, en te chuchotant à l'oreille qu'il faut arrêter de les nourrir avec ce qu'ils préfèrent: notre peur.


Merci d’être patient avec moi.

Je mets de côté un instant la pile de batailles qui m'attend sur le comptoir, et les villages à reconstruire.

Et je nous rejoins.


1 Comment


marieclown79
Jun 02, 2021

Quel bel acte d'amour que cette lettre destinée à ton fils. Se sera un précieux cadeau pour lui de découvrir la richesse des mots qui y sont logés.

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