Les saisons de l'étang
- La plume et l'ancre
- 18 déc. 2023
- 2 min de lecture

La nuit s'est noyée dans l'étang. Ou seulement assoupie. Un songe d'été en offrande à l'aube.
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Chaque vie de papillon est un conte qui dure le temps d'un inspir et d'un expir. Quelques nuits seulement. Tout juste une lunaison.
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Le lac sépare un monde parfait en deux. Le calme du miroir lisse en moi. Quelques ondes qui remuent la surface autrement immobile. Comme une présence-absence qui cohabiteraient étrangement. Dans un tango mélancolique. Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, tel que nous l'enseigne l'étang, imperturbable avant la pénombre.
Je ne sais pas si les papillons poursuivent leur transformation au-delà. Attiré par son propre reflet, peut-être, ce papillon lune s'est-il changé en nymphe des eaux. Il me rappelle toutes les fois où je suis morte. Où la terre a rappelé mon corps à elle, à l'envelopper, à reprendre ce qui lui appartient et à le transformer en humus fertile. Toutes les fois où je me suis sentie aspirée dans les profondeurs. Cet appel à plonger. Le papillon lune sera bientôt désagrégé en fines particules, mêlées à l'eau. Il sera molécules parmi celles des feuilles, des algues, des grenouilles. Indifférenciables. Chacune des incarnations, courtes ou longues, est une lutte contre la dissolution.
La chenille a le potentiel de devenir un papillon. Ce n'est qu'un potentiel. Tant de choses peuvent survenir sur son chemin pour empêcher qu'il ne se manifeste. Du point de vue initial, au stade de la chenille, cette aspiration à voler relèverait de l'ésotérisme. Ou d'une chimère d'enfant qu'on s'empresserait d'étouffer. Une chenille ne peut pas voler, c'est bien vrai. Elle doit mourir un peu, renoncer à tout, pour y arriver. On doit la laisser mourir.
Combien de cocons avons-nous ouvert avant l'éclosion, trop impatient ou inquiet de la disparition du connu, du familier, du rassurant. Anxieux de ce qui se trame en silence, dans l'invisible du creuset matriciel. Es-tu toujours là? Es-tu toujours vivant? Suis-je seule? Serez-vous encore là quand je sortirai? Aurons-nous tout oublié? Une question ou un geste intrusifs et l'opération miraculeuse s'arrête brusquement. Le processus de transmutation ne supporte pas la brûlure du regard.
La chenille se garde bien de faire quelque incursion à l'extérieur pour prendre la température ou partager ses révélations mystiques in utero. Seule une rumeur lointaine accompagne son silence de cloître. Et un fil de foi, peut-être, qui la relie à une source où tout est confondu, dans une seule et même âme sans contour. Une racine vers le ciel qui lui souffle que tout est possible, que la forme n'est pas l'essence.
Accepter de mourir et de renaître, encore, de redevenir larve de libellule nageant sous la surface, la graine en latence qui porte à la fois la fin et le recommencement. Inspirer comme le héron la brise du cosmos et aller la déposer au fond, là où la boue couve les potentiels endormis. Se couvrir d'un cocon de plâtre, de patience et d'humilité pour guérir les fractures. S'envelopper d'un sarcophage de soie, d'une grotte ou d'une forêt. Le papillon connait l'extase de l'envol après avoir longuement rampé au sol.
Je ne sais pas en quoi le papillon se transforme quand il s'échoue un matin sur la frontière des eaux. En petite perle de givre, en reflet de lune ou en oeuf d'opale, qui sait, qui contient le secret des saisons.
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