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Le secret des tournesols

D'aussi loin que je me souvienne, les tournesols exercent une fascination chez moi.

Peut-être depuis mes promenades dans le jardin de mon arrière-grand-mère, où, enfant, j’avais marché parmi ces géants qui me dépassaient et m'envoûtaient tout autant qu'ils m'intimidaient. Ou depuis mon premier voyage dans le sud de la France, alors que l'enchantement reprenait, à la vue de ces champs remplis de soleils.

Bref, j'essaie depuis quelques années de faire pousser mes fleurs préférées. Chaque fin d'hiver, je me réessaie, pleine d'espoir, à replanter des semences dans mon petit pot sur le bord de la fenêtre. Je regarde les pousses sortir de terre, se déployer, chercher leur dose de lumière à travers le givre de la vitre, à travers les promesses du printemps. Chaque fois je les perds, avant ou après la transplantation dans le jardin. Je ne sais pas pourquoi. Trop d'eau, pas assez de lumière, d'engrais, trop tard, trop peu. En me renseignant à une horticultrice qui semblait savoir s'y prendre avec les tournesols, elle m'a répondu qu'ils étaient comme des enfants, qu'ils demandaient beaucoup de soin, d'engrais, de soleil, qu'il fallait les nourrir souvent. J'en ai rapidement conclu que je ne pouvais m'occuper d'une autre portée en ce moment, et que je me reprendrais plus tard, quand ma maternité serait moins prenante.

Et puis au printemps, sans bruit, une petite pousse est sortie de terre, dans un coin du jardin. Puis une deuxième. Ça ressemblait à une pousse de tournesol, mais je me suis dit que ça devait être une herbe quelconque parmi le chaos qui reprenait ses droits après l'hiver.

Les pousses ont grandi, sans que j'y porte attention. Deux grandes intentions qui montaient vers le ciel. Les tiges robustes et puissantes supportaient bientôt des embryons de fleurs. C'était bien là des tournesols, qui s'élançaient maintenant aussi haut que le toit de ma maison.

Les graines que j'avais semées l'été dernier et qui n'avaient jamais poussé, avaient eu besoin d'une longue gestation dans le noir, à se faire triturer par le froid, le gel, le dégel, la pluie et les intempéries. Voilà qu'après un rude hiver, elles sortaient de leur coquille. À l'endroit que les chats des voisins avaient transformé en litière, à mon grand désarroi et malgré toutes mes interventions. Et puis il y a eu cette tempête, cette tornade qui ne tournait pas rond, ce derecho qui a tout arraché, qui a couché par terre le trois-quart des arbres de mon terrain au printemps. Des conifères essentiellement. Laissant entrer incidemment une quantité de lumière nouvelle et abondante, directement sur le coin du jardin où les espoirs avaient été semés.

Une catastrophe météo qui laisse entrer la lumière, des chats malotrus ayant grassement enrichi le terreau, et la rudesse d'un hiver. Les tournesols géants trônaient maintenant là où toutes mes tentatives de contrôle sur mon environnement avaient échoué. Ils occupaient cette place de lâcher-prise, de laisser-aller, d'épreuves et d'imprévus. Ces fleurs magistrales n'étaient pas nées dans le confort du foyer, sous verre; elles n'avaient pas grandi dans un cocon de ouate, bichonnées et surprotégées. L'horticultrice avait peut-être raison après tout, c'était peut-être un peu comme des enfants.

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Je n'ai pas réussi à faire pousser des tournesols. J'ai planté un souhait. Puis je l'ai oublié. Et la vie, dans tout ce qu'elle peut avoir d'impitoyable, s'est chargée du reste. Et je n'ai eu qu'à récolter, le cadeau des tempêtes.


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