Incubations
- La plume et l'ancre
- 28 oct. 2020
- 2 min de lecture
Mercredi midi, dans le quartier des spectacles sans spectacle.
Montréal. Je prends un temps pour m’asseoir et te regarder.
Je t’avais pas encore vue comme ça. Avec tes allures futuristes. Aseptisée. Emballée.
L’heure de pointe, en pleine Place des arts, a l’air d’un dimanche matin.
Depuis mars, je n’ai pas mis les pieds dans la ville. J’ai préféré te contourner.
Depuis que t’es devenue une zone.
J’ai boudé tes travaux, ton trafic, tes passants sans visage.
Pendant 30 ans, t’as été mon village. Je te connaissais comme le fond de ma poche. Je t’ai arpentée, parcourue, j’ai fait trois fois le tour de la terre en métro. J’ai marché tes toits. Tes ruelles et tes tunnels. J’ai visité tes ruines, dans les quartiers ouvriers. Cet ami explorateur me disait que les nouveaux bâtiments seraient les ruines de demain.
Depuis ton centre-ville déserté, avec d’un côté les cratères des grands chantiers, et de l’autre les tours scintillantes pratiquement vides, je pense à cet ami explorateur, qui n’avait pas prévu que les ruines de demain sentiraient le neuf et le frais peint.
Je suis là aujourd’hui, assise sur les marches de tes quartiers en devenir, de tes nouveaux édifices désinfectés qui poussent dans un étrange mélange de poussière et de silence. Le Montréal que j’ai connu est dissous. Les rues ont changé de sens. Je ne sais pas ce qui est arrivé au L apostrophe de la station Assomption. Mes repères ont disparu. Les foules aussi. Montréal au compte-gouttes.
Derrière cette déconstruction et cette poésie de la désolation qui m’attiraient tant dans les friches urbaines, je vois un présage.
T’es dans un grand cocon.
J'ai hâte de voir ce que tu prépares comme transformation.
J’ai hâte de te voir, quand tu vas émerger de cette incubation, que t’enlèveras enfin tes plâtres et tes emballages.
C’est drôle mais, malgré tes pulsations au ralenti, tes écharpes et tes lettres envolées ou englouties dans les cratères, je me sens toujours chez moi.
Ici, dans les corridors feutrés de ta renaissance. Là où on continue de fabriquer des histoires.
Mes histoires aussi sont dans un cocon.
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